Peu d’entreprises de mode peuvent se prévaloir d’une longévité aussi impressionnante qu’Esmod. Et 180 ans ça se fête !
A ce chapitre, même les marques Louis Vuitton (167 ans), Burberry (165 ans), Chanel (111 ans) ou Christian Dior (75 ans) feraient presque figures de débutantes… Seule Hermès -dont les locaux sont situés à quelques mètres d’Esmod Pantin- forte de 220 ans d’histoire, la domine. Pas étonnant que toutes ces maisons, et de nombreuses autres, pensent instantanément à Esmod lorsqu’il s’agit de revitaliser leurs équipes de création et leurs ateliers.
Dans l’exposition « Héritage et Patrimoine : 180 ans d’Ateliers » imaginée par Claire Wargnier, on découvre à travers son histoire pourquoi Esmod est aujourd’hui une solide galaxie de 19 écoles, à Paris bien sûr, en France (Bordeaux, Lyon, Rennes, Roubaix) mais aussi dans le monde (Beyrouth, Beijing, Dubaï, Damas, Guangzhou, Istanbul, Jakarta, Kuala-Lumpur, Moscou, Oslo, Séoul, Sousse, Tokyo, Tunis, etc.). L’inventeur et fondateur de l’école Lavigne, ancêtre d’Esmod, Alexis Lavigne, n’en croirait pas ses yeux.
Ses cours de coupe de 1841 sont devenus une méthode, appliquée, renouvelée et adaptée avec succès dans le monde entier.
Cette fameuse méthode théorique, n’est d’ailleurs pas le seul exploit de cet inventeur. Dès 1837, il met au point un « corsage mécanique » ajustable, afin de conserver après un premier essayage, les mensurations exactes de ses clientes. Une invention qui lui fera déposer le brevet du premier buste-mannequin moulé sur plâtre en 1854. Procédé qu’il déclinera au profit de chaque tailleur et couturière, qui pourront dès la fin de la guerre de 1870, réaliser eux-mêmes les bustes-mannequins de leur clientèle. Employé et disciple d’Alexis Lavigne, Frédéric Stockman fera de ce nouvel outil normalisé, un succès mondial jusqu’à nos jours…
Alexis Lavigne imagine également un autre outil indispensable de la couture : le centimètre souple et imperméable. Il en fera même breveter la machine de fabrication en 1847.
Autant d’inventions, révolutionnaires à l’époque, qui servent sa vision d’un nouveau monde : celui où le sur-mesure, inadapté au marché de la mode en plein développement, laisserait bientôt place à la confection plus standardisée, mais dans le respect du corps de chacun.
Désormais de nouveaux outils numériques servent avec davantage de précision encore la conception des créations qui nous habillent. Et à nouveau, Esmod participe avec le même esprit visionnaire à la réinvention permanente de ces outils : conception 3D, découpe Laser, thermo-chromie, mémoire de formes, etc.…
A l’écoute des enjeux d’un monde meilleur, l’écologie, le recyclage, la décarbonisation, la durabilité, sont également devenus des acquis qui enrichissent les formations professionnalisantes d’Esmod.
Pour Claire Wargnier, responsable d’éditions également en charge du patrimoine chez Esmod International, il fallait justement axer cette exposition sur l’histoire des ateliers, à l’origine de toute création de mode. De ceux ouverts par le premier directeur, Alexis Lavigne, à ceux de ses successeurs qui resteront ses descendants directs durant 136 ans.
Planet Esmod : Comment est structurée cette exposition ?
Claire Wargnier : Elle est divisée en six espaces qui sont six reproductions d’ateliers. Nous exposons ainsi l’atelier d’Alexis Lavigne, celui de sa fille Alice Guerre-Lavigne, puis celui de Berthe Lecomte-Guerre, la petite fille d’Alexis Lavigne. Celle-ci est très importante dans l'histoire de l'école car elle est restée dans l’entreprise durant 65 ans, un record ! Entrée dès 1900, avec sa mère elle y restera jusqu’en 1965 avec son fils. C’est elle qui mettra en place, entre autres, les fondements de nos méthodes de coupe actuelles. Ensuite, nous présentons l’atelier de l’arrière-petit-fils, Jean Lecomte. Cette dynastie dure jusqu’en 1976. Viennent ensuite l’atelier de stylisme créatif d’Annette Goldstein et Paule Douarinou, puis celui plus international encore de l’actuel président Satoru Nino.
P. E. : Et qu’y voit-on concrètement ?
C. W. : Dans chaque espace, on découvre une drapière ou des tables de coupe, sur lesquelles nous exposons des documents patrimoniaux : écrits, notes diverses, dépôts de brevets, essais de méthodes, dessins. On y verra ainsi la première méthode d’Esmod, déposée en 1841. Autour, sont exposés les inventions, comme la première trouvaille d’Alexis Lavigne, le corsage mécanique, les premiers centimètres souples, les premiers bustes-mannequins, etc. On verra aussi une tenue d’amazone, car il devient tailleur-amazonier de l’Impératrice Eugénie. Des crinolines également, car il est le premier à ouvrir une maison de tailleur pour dames, puis des tournures à transformations lorsque la mode évolue.
P. E. : Que découvre t’on dans l’atelier de sa fille Alice ?
C. W. : Essentiellement des vêtements de sport et puis toute la mode de l’époque, de 1900 à 1925. Alice Guerre-Lavigne se concentre sur l’éducation. Mandatée par le gouvernement de Jules Ferry, elle va participer à l’évolution de l’enseignement de la coupe et de la couture pour les jeunes filles à travers la méthode Guerre-Lavigne qu’elle imposera dans des écoles du monde entier, jusqu'à 105 institutions différentes, de St Petersbourg à Sao Paulo. Elle fonde aussi 5 journaux, qu’on verra ici, dont une très importante encyclopédie de coupe « L’Art dans le Costume » qui couvre des créations de 1885 à 1947. Précisons qu’elle était mariée à un éditeur, Octave Guerre, ce qui a dû faciliter sa tâche d’éditrice. On trouve dans ces revues, des causeries sur l’air du temps, on surveille aussi ce qui se passe sur l’hippodrome de Longchamp, qui est le lieu où il faut se montrer, etc. Ce sont des magazines de tendances finalement.
Pendant la Première Guerre mondiale, elle transforme ses journaux en cours par correspondance. Ce qui lui permet de faire perdurer l’école dans les années d’après-guerre. Une stratégie qui sera réactivée durant la Seconde Guerre mondiale. Et une leçon que nous avons appliqué à Esmod plus récemment en raison des confinements, à travers des vidéos et des téléconférences.
P. E. : Sa fille, Berthe Lecomte-Guerre, permet à l’école de se focaliser sur d’autres enjeux ?
C. W. : Berthe s’inscrit avant tout dans la continuité de sa mère. On découvre, entre autres, dans son atelier, des collages de mode amusants bien avant nos logiciels Photoshop ou Illustrator. Elle va aussi lancer un système de patrons afin de réaliser des robes chez soi, qu’elle diffusera dans un nouveau journal : La Femme et la Mode, qu'elle diffusera en collaboration avec le magazine Marie France, je pense. Elle dépose également un brevet de gradations. Mais surtout, sa méthode de 1954 reste la base de nos méthodes contemporaines. On voit ici les premières photos d’ambiance de l’école, qui était alors située avenue de l’Opéra, au cœur de la Haute Couture parisienne de l’époque. Et puis on découvre quelques collections d’étudiants de 1948. Après la Seconde Guerre mondiale, l’école fait également de la formation auprès des vétérans GI américains et des soldats coréens. Les ambassades d’alors reconnaissent l’école comme une institution de renom. De nombreux contrats de partenariats suivront.
P. E. : Une petite révolution va naître avec son fils, laquelle ?
C. W. : C'est en effet Jean Lecomte, qui transformera le nom de l’école Guerre-Lavigne en Esmod. Il souligne ainsi une véritable évolution des métiers de la mode. C’est lui qui met en effet le nouveau métier de styliste en place dans l’école. Il en profite pour dépoussiérer le nom du groupe. Il avait commencé à travailler avec sa mère en 1949 et reste administrateur de l’école jusqu’en 1976.
P. E. : C’est aussi lui qui va mettre un terme à cette aventure familiale ?
C. W. : A la fin des années 1970, aucun membre de la famille ne veut reprendre l’école. Sa femme –qui avait été formée par sa mère, Berthe, durant les années de guerre- était vraiment douée. Mais hélas, elle décédera dans un accident de voiture en 1952. La famille en a été déstabilisée. Ses propres filles seront également élevées par sa mère, qui avait une réputation de maitresse-femme... Elles se désintéressent à leur tour de l’école.
De ce fait, Jean Lecomte vend sa société à sa secrétaire, Paule Douarinou et à son premier professeur de stylisme, Annette Goldstein, en 1976. Elles vont replacer l’école dans le champ de la modernité et de la mode créative tourbillonnante de l’époque. Globalement, elles vont développer l’entreprise jusqu’en 1996, lorsque Monsieur Satoru Nino, l’actuel Président d’Esmod, la rachète.
P. E. : Comment se concrétisent les années 80 et 90 dans l’exposition ?
C. W. : Dans l’atelier d’Annette Goldstein et Paule Douarinou, on trouve les nouvelles technologies liées à la mode, mais aussi les images des grandes célébrations auxquelles l’école a participé, comme le bicentenaire de la Révolution Française en 1989, ou l’habillage du Pont Neuf par Christo en 1985. Les 40.000 mètres carrés de toiles ignifugées, utilisées par l’artiste, avaient été cousus par les élèves de l’école.
P. E. : Comment évolue le patrimoine historique de l’école désormais ?
C. W. : Nous aimerions pérenniser un conservatoire au sein même de l’école. Notre patrimoine est naturellement constitué de beaucoup de traces sur papier : brevets, journaux, patronages, dessins, etc. Il se double désormais d’une volonté pédagogique de développer une collection de vêtements anciens, dont une partie issue des travaux de l’école et de ses étudiants.
« Héritage et Patrimoine : 180 ans d’Ateliers » Ouverture au public du 16 au 21 Novembre. De 11H à 18H. Esmod Pantin, 30 avenue Jean Lolive, 93500 Pantin (Métro Porte de Pantin ou Hoche).
Cette exposition est également présente au Musée La Piscine à Roubaix dans le cadre de la célébration des 20 ans du Musée d’Art et d’Industrie André Diligent. Jusqu’au 6 février 2022.
Et pour tout connaître de l’histoire d’Esmod mais aussi découvrir les trésors de son patrimoine en ligne, une seule adresse :
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