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Photo du rédacteurPatrick Cabasset

Indémodable ou démodé ? La vérité est Tailleur

A l’heure de la remise des diplômes d’ESMOD Fashion Business, le pôle Patrimoine de l’école nous a aiguillé vers un vêtement de travail féminin pas toujours féministe : le tailleur. Et c’est avec l’historien de la mode Xavier Chaumette, auteur –entre autres- de l’ouvrage « Le Tailleur, un vêtement-message » chez Syros, mais avant cela du livre "Le Costume Tailleur" chez ESMOD Edition, que nous détaillons cet archétype du vêtement de travail féminin. Un élément de l’histoire créative de la mode chargé de sens, qui raconte également des évolutions sociales et sociétales.


Trois élégantes anglaises en tailleurs féminisés avec style vers 1930

Planet Esmod : Quand et pourquoi vous êtes vous penché sur la problématique du tailleur ?

Xavier Chaumette : Ce livre a été écrit au début des années 90. C’était encore des années fastes pour le tailleur, mais elles commençaient à sonner son déclin. Il y avait eu un véritable retour du tailleur dans les années 1980. D’une façon à la fois assez passéiste, mais travaillé de manière innovante. Et puis au début des années 90, c’est devenu un uniforme un peu conservateur. La mode c’est mis à rechercher d’autres formes de vêtements de travail urbains, capable de marquer la liberté du corps et de fait, la veste est restée mais, sans le bas.


P. E. : En quoi ce livre a eu une approche différente de l’histoire de la mode ?

X. C. : Je me suis intéressé aux femmes et comment, dès la fin du XIXe siècle, elles avaient pu utiliser la veste d’homme pour s’émanciper. Alors qu’elles étaient encore dans un enfermement social et législatif absolu ! Hors, ce vêtement a participé à leur libération. Avec encore des limites comme celle du pantalon qui ne pourra s’imposer que progressivement à partir des années 1920. Et encore, pour quelques rares femmes d’avant-garde seulement. La veste n’existera réellement dans toutes les garde-robes féminines qu’a la fin des années 1960. Le tailleur des origines c’est donc développé en version jupe.


P. E. : Pourquoi le tailleur est un élément si fondamental ?

X. C. : En fait le tailleur est une grille de lecture formidable de l’histoire des femmes et de nos sociétés. Par exemple ce vêtement qui était très novateur et dérangeant au début du XXe siècle est devenu ultra bourgeois dès les années 30. Les femmes le portaient pour aller à la messe ! Le tailleur était devenu conforme à une réalité démocratique. Mais la femme qui le portait devenait le relais des valeurs conservatrices. En un siècle, le tailleur a ainsi pu incarner deux images totalement opposées de la femme.


Tailleur Hermès, Hiver 1941-42. Durant la seconde guerre mondiale, la mode parisienne sait encore incarner l'espoir. Dans le livre Le Tailleur, un vêtement-message de Xavier Chaumette

P. E. : Quelle est la place du tailleur aujourd’hui dans la société ?

X. C. : Depuis le début des années 1990, le tailleur est associé à un uniforme un peu conventionnel. Exactement comme le costume pour homme. A t’on vraiment envie de subir ce vêtement et pour quelle raison ? C’est à la fois un vêtement passe partout, formel et un peu vieillot pour le tailleur-jupe, mais un objet positif pour le tailleur pantalon. L’écart continu à se creuser entre ces deux pôles féminins. Les marques de luxe créatives essayent cependant de remettre le tailleur-jupe au goût du jour, mais je ne suis pas sûr que ce soit un succès. Au contraire, des images du tailleur-pantalon comme celles créées par Yves Saint Laurent avec le photographe Helmut Newton, ou les clichés de Marlène Dietrich en homme, continuent d’alimenter son aura d’avant-garde. C’est le tailleur « libération », avec une touche intellectuelle. Il est ultra-positif et intéressant. Le tailleur-jupe tel que les femmes avaient dû accepter de le porter reste encore conventionnel.


« Le tailleur est une grille de lecture formidable de l’histoire des femmes et de nos sociétés » Xavier Chaumette.


Tailleur d'Edouard Molineux, 1967. Dans les archives d'ESMOD Patrimoine

P. E. : En quoi ce tailleur a t’il pu être si sulfureux à ses débuts ?

X. C. : Globalement le tailleur apportait l’idée d’un vêtement neutre, sans ornement. Contrairement aux créations de la fin du XIXe siècle qui étaient très ornées. Il imposait aussi le mélange des genres. Le tailleur était à la base réalisé par des hommes, chez les tailleurs pour hommes, mais soudain au service des femmes… Quand elles se l’approprient, les femmes accèdent à la liberté des hommes, à la possibilité d’aller vers le monde extérieur, la possibilité de travailler, etc. Le tailleur se pare ainsi de valeurs sociales et démocratiques essentielles. Il adapte la tenue féminine au monde moderne.


P. E. : Quelles valeurs plus précisément ?

X. C. : Le tailleur a apporté une forme d’égalitarisme entre les femmes. Celles qui venaient de province ou de classes sociales moins favorisées pouvaient grâce à lui, afficher la même allure qu’une parisienne plus aisée. Un peu comme le jean plus tard. Le tailleur était un uniforme démocratique. Ce qui n’a pas toujours plu aux femmes riches… La Haute Couture c’est ainsi emparé rapidement du tailleur. Pour les femmes qui pouvaient voyager c’était quand même plus pratique en tailleur qu’en robes à tournures et tenues compliquées de salons. Malgré tout, ce tailleur même couture, gommait les différences sociales. Il donnait une image floue de la représentation sociale. Ça choquait beaucoup les dames de la haute société d’alors.

Egalement, le fait qu’on puisse ouvrir la veste et dévoiler son buste en public, qu’on puisse faire ‘tomber la veste’, ça ne se faisait pas encore. C’était mal vu. Les manteaux et les ‘visites’ de la fin du XIXe siècle étaient inconfortables, lourds mais dignes. On ne voyait pas les boutonnages. On ne les quittait jamais en extérieur. Au début du siècle on voit ainsi apparaître beaucoup de faux tailleurs. Des trompes l’œil qui étaient des robes en fait ! La veste du tailleur masculin, comme les manteaux d’hommes, montraient au contraire aux femmes qu’elles pouvaient porter plusieurs couches de vêtements et les enlever en fonction de leur humeur ou de la température ambiante.

Autre grief du début du XXe siècle : on accusait le tailleur d’être trop simple, de demander moins de travail que la mode fin de siècle. Comme si il annonçait la fin des brodeuses, des dentelières, des plumassières etc. On lui reprochait ainsi globalement la faillite imminente de l’économie de la mode française !


Tailleur Thierry Mugler, 1990. Archives ESMOD Patrimoine

P. E. : Dans le monde d’aujourd’hui et pour les alumni d’ESMOD par exemple, la neutralité du tailleur reste cependant fondamentale dans le cadre d’une recherche d’emploi, non ?

X. C. : Sans aller vers des vêtements de soirée ou des silhouettes hyper décorées, aujourd’hui on va peut-être privilégier d’autres types de vêtements pour un entretien avec un ou une DRH. Des éléments en maille plus confortables, des créations plus modernes en tous cas que ce tailleur qui est fatalement assimilé à un uniforme de travail. Comme celui des hôtesses de l’air -et encore, la veste disparait dans les uniformes de nombreuses compagnies aériennes aujourd’hui- ou des hôtesses d’accueil dans l’hôtellerie, les salons professionnels, etc.

Alors que le tailleur-pantalon reste encore une fois trop dérangeant me semble t’il. C’est un acte de courage, et limite de bravoure dans le cadre d’une recherche d’emploi, à mon sens.


A lire :

Le Costume Tailleur - La Culture Vestimentaire En France aux XIXème Et XXème Siècles, par Xavier Chaumette chez ESMOD Edition.

Le Tailleur. Un vêtement-message. Par Xavier Chaumette (Historien de la mode) et Emmanuelle Montet (documentaliste). Editions Syros Alternatives, Collection Droit Fil.




Tailleur à basques de Serge Kogan vers 1950-53. Archives ESMOD Patrimoine

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