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Loetitia Razanamarie : Maroquinerie Alternative

Dernière mise à jour : 5 juil. 2022

Jeune créatrice de mode, Loetitia Razanamarie vient de concevoir sa première ligne de sacs à main, Vazane, à partir d’une nouvelle matière, le Zébucq. Sa propre matière, travaillée à partir de fibres de cocotier et qui lui permet de proposer des créations Made in France, en pièces uniques.


Loetitia Razanamarie et sa manchette à l'éffigie de sa mascotte Zéboutin

Derrière le logo complexe de Vazane par Lora et Zéboutin, se cache en fait une créatrice limpide, pragmatique et perfectionniste : Loetitia (prononcez Laetitia) Razanamarie. Originaire de Madagascar, cette jeune diplômée d’Esmod en stylisme-modélisme, spécialisée en accessoires, est basée dans la région de Strasbourg.

Son envie de mode date de ses plus jeunes années. Très tôt, afin de rendre son apparence plus originale, Loetitia prend quelques cours de couture. Malgré les compliments légitimes qu’elle reçoit sur son apparence originale, elle se tourne après le baccalauréat vers des études plus classiques d’administration et gestion des affaires, dans une université privée de Madagascar.

En 2011, elle se dirige vers la France. Elle y découvre très vite que ses études et diplômes n’y sont pas reconnus. Durant 4 ans elle s’accroche cependant, acceptant des postes d'employée de libre-service dans la grande distribution et mettant de côté ses aspirations à la mode. Loetitia se remet à la création un peu par hasard : à l’occasion du mariage de sa sœur à Paris, créant sa propre tenue. Succès garanti ! Ce qui la remet sur la voie de sa véritable passion. « J’avais été découragée par la perspective de devenir styliste en arrivant en France, avoue-t-elle. Ça semble un métier tellement inaccessible. Mais je ne voulais pas avoir de regrets, tout le reste de ma vie… ».


Vazane par Lora et Zeboutin est une nouvelle marque de maroquinerie Made in France.

Progressivement l’idée de reprendre ses études de mode se fait jour. A Strasbourg, elle adhère d’abord à une formation en ligne qui s’avère peu concluante. Parallèlement à son travail régulier, elle prend également des cours de dessin. Au bout d’un an, elle se sent prête pour Paris et Esmod, soutenue par son compagnon. « Il faut une bonne formation si on veut affronter un métier qui semble si difficile ! »

Planet Esmod : Pourquoi avoir choisi Esmod justement ?

Loetitia Razanamarie : J’avais 27 ans et déjà un bagage universitaire, plus une carrière professionnelle existante. Les propositions de formations intensives en deux ans d’Esmod m’ont convaincue. Ça me correspondait aussi en terme de durée. La première année est consacrée à une formation intensive globale sur 10 mois. La seconde, j’ai choisi la spécialisation Accessoires de Mode. De plus, j’avais déjà entendu parler d’Esmod à Madagascar où la réputation de l’école est bonne. C’était mon premier choix.


Loetitia reste créative autour de sa matière fétiche, le Zébucq.

P. E. : Pourquoi avoir choisi de lancer votre marque directement après votre diplôme ?

L. R. : Je travaillais déjà sur ce projet en parallèle avec mes études, mais je voulais avoir au moins deux à trois ans d'expérience en entreprise avant de m'y consacrer pleinement. C'est la crise sanitaire qui a accéléré ce plan. Après mon stage de fin d’études chez Tammy et Benjamin, j'ai fait un deuxième stage chez Morgan, qui a été suspendu au bout de deux semaines, à cause du premier confinement, en mars 2020. Cela m'a permis de consacrer plus de temps à mes recherches et développement du Zébucq. J'en ai aussi profité pour apprendre les bases de la maroquinerie auprès d'un artisan, en mai, dès la levée du confinement. Grâce à cette formation d'un mois, j'ai pu concevoir mon prototype et produire moi-même les sacs par la suite, quand j'ai lancé Vazane. J'ai repris mon stage chez Morgan en juillet, pour une durée prévue de 6 mois. Il a de nouveau été arrêté brutalement en novembre, avec le deuxième confinement... Ajoutez à cela la difficulté de décrocher un premier emploi dans les conditions actuelles et vous découvrez ma décision de déclencher mon projet de ligne de sac à main. J'ai décidé de transformer l'obstacle en opportunité.


Il ne faut pas se contenter de ce qu’on vous donne mais toujours chercher davantage. Et expérimenter sans cesse de nouvelles pistes.


P. E. : Et comment en êtes-vous arrivée à cette matière inédite ?

L. R. : J’ai commencé à remarquer la fibre de coco de Madagascar vers la fin de ma deuxième année à Esmod. Je viens de Sambava, la région ou s’est développé la plus grande cocoteraie de Madagascar. Ma mère y travaille. J’ai grandi au milieu de cet environnement. Ces dernières années ma sœur partageait sur sa page Facebook des articles sur l’artisanat local à base de fibre de coco. Evidement ce sont des produits bruts, peu transformés, aux finitions très artisanales. Pour moi, c’était cependant une piste intéressante. A Esmod on est assez cadré dans nos propositions, on apprend les bases du métier, donc en spécialisation Accessoire on utilise essentiellement du cuir. J’ai donc mis cette idée de côté afin de la travailler à la sortie de l’école. Cependant, pour mon stage de fin d’étude, je me suis dirigée vers une jeune entreprise de taille moyenne qui pouvait correspondre à mes projets. Ceci afin d’apprendre le plus de choses qui puissent me servir directement plus tard,… dans le cas ou je lancerais ma marque.

P. E. : Chez qui avez-vous suivi ce stage de fin d’études ?

L. R. : Chez Tammy & Benjamin. Une entreprise de maroquinerie qui correspondait à ma cible. J’y suis restée durant 5 mois. La créatrice a suivi l’enseignement d’Esmod aussi. Ça crée des liens.

P. E. : Comment avez-vous commencé concrètement avec votre marque et cette nouvelle matière ?

L. R. : J’ai demandé à ma mère de m’envoyer des échantillons, je les ai manipulés et triturés durant plusieurs mois avant de trouver la bonne formule, afin d’obtenir la texture que je voulais.


La fibre de cocotier est à l'origine du Zébucq

P. E. : Est-ce qu’on peut définir cette matière, le Zébucq, comme une alternative au cuir ?

L. R. : Non, pas vraiment. D’abord c’est une matière d’origine végétale. Elle se développe autour du cocotier et n’est utilisé que très rarement et depuis moins de 10 ans, même à Madagascar. Et en général ce n’est utilisé qu’à l’état brut. Ou pour des costumes traditionnels et des objets de décoration. En tous cas, jamais ou presque pour des accessoires de mode contemporaine. J’ai complètement transformé cette fibre brute. Je l’utilise sur le côté verso, qui est plus intéressant en terme de texture. Mon secret de fabrication est dans l’apprêt qui transforme radicalement cette fibre. Ainsi elle reste texturé, graphique, mais douce. Sinon elle serait impossible à porter. J’ai adapté mon design à cette nouvelle matière. Et je lui ai donné un nom, car ce n’est pas non plus de la fibre de cocotier brute. Le Zébucq est ma matière.

P. E. : Comment peut-on décrypter le nom de votre marque ?

L. R. : Dans Lora et Zéboutin, je suis Lora, Lo pour Loetitia et Ra pour Razanamarie. Zéboutin est ma mascotte. C’est le bracelet en forme de tête de zébu stylisé qui apparaît sur ma photo de profile parfois. Le zébu est l’emblème de Madagascar. Ma ligne de sacs s’appelle Vazane parce qu’à Madagascar, tout ce qui vient de l’étranger se nome vaza (vazaha ou encore vazâh -ndr). Ma matière de base est malgache certes, mais je l’ai transformée et j’utilise les techniques de la maroquinerie française. Donc c’est un produit étranger. Ce n’est pas simple à expliquer en effet, mais ça correspond à mon processus de création.

P. E. : Quelle marque vous inspire le plus ?

L. R. : Je suis une inconditionnelle de Delvaux. Leurs cuirs sont tellement travaillés, étonnants, fantastiques. J’ai failli d’ailleurs suivre un stage chez ce maroquinier prestigieux en Belgique. Mais leurs stages ne sont pas rémunérés comme en France. Donc ça ne c’est pas fait. Depuis le début, j’essaye de transformer ma matière de base, le Zébucq dans l’optique de qualité des cuirs Delvaux.

P. E. : Qu’est-ce que les cours d’Esmod vous ont apporté ?

L. R. : La méthode de travail et de recherches d’Esmod m’aident au quotidien. Les échanges avec les autres étudiants au sein de l’école sont aussi très importants. Bien sûr l’essentiel ce sont les compétences techniques qu’on peut acquérir. Sans oublier l’accès aux stages qui complètent la formation et qui sont aussi un atout essentiel d’Esmod.


Vazane se décline en formes et couleurs changeantes. Chaque pièce est unique.

P. E. : Quels conseils donneriez-vous aux actuels étudiants d’Esmod ?

L. R. : Il faut les encourager à aller au-delà de ce qu’on leur donne. La curiosité est un élément essentiel de toute formation. Par exemple, j’étais la seule à l’époque à utiliser la création en trois dimensions (la 3D) pour mes prototypes et mes recherches. C’est devenu l’outil le plus pratique pour tous les prototypes désormais, même au sein de l’école. Globalement, il ne faut pas se contenter de ce qu’on vous donne mais toujours chercher davantage. Et expérimenter sans cesse de nouvelles pistes.

Je leur conseillerais aussi vivement de s'intéresser au côté business de la mode. En effet, qu'on ait sa propre marque ou pas, dans le monde du travail, créativité et prise en compte de la réalité du marché servent autant pour la conception d'une collection. J'ignorais à l’école à quel point c'était important. C’est là où les stages sont formateurs aussi.

P. E. : Le Zébucq que vous développez est une matière vegan, comme le Pinatex (à base de fibre d’ananas) ou le Muskin (à base de champignon), est-ce un axe de communication qui vous intéresse ?

L. R. : Oui, c’en est une. Mais je ne suis pas vegan, je suis juste pour l’exploration, la découverte. Je porte aussi du cuir et ma collection de fin d’études était en cuir. C’est ce qui explique que je ne communique pas directement sur l’aspect vegan de cette nouvelle matière. Je n’aime pas rentrer dans des cases ou me faire cataloguer comme anti-cuir. Je ne crois pas à ces discours qui me semblent souvent n’être que du greenwashing. En fait, je ne crois pas que le simple fait d’acheter un sac a main va changer le monde…



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