C’est en consultant le site de Colette que nous avons eu envie de rencontrer Mary Pierre Favre, la première lauréate le Prix des Proêmes de Colette. Cette consultante créative de bureaux de style comme, Trend Union, Peclers ou Carlin et pour des marques comme Vanessa Bruno, Repetto, See by Chloé ou Diane Von Fustenberg, fait parler les images au service de la mode et de la création depuis plus de 15 ans. Son gout secret pour les mots, les mots d’amour pour la mode, met en lumière un magnifique talent, atypique et pluri disciplinaire à l’avant garde des métiers futurs de la mode. Sophie Fontanel, la présidente du jury littéraire, écrit d’elle qu’ « elle dit en peu de mots le grand, le charnel, l’immense amour qu’on peut ressentir pour une certaine façon de porter les habits. Pour cette première édition, ce lien entre les sentiments et les vêtements nous a semblé le plus pertinent qui soit. » Son parcours passionnant comme spécialiste de l’iconographie du temps présent s’accompagne aujourd’hui d’une réflexion sur les mots comme une nouvelle nécessité dans un monde du tout image. « Ce texte parle du rapport que chacun veut bien entretenir avec ce qu’il porte, qu’il fasse partie des milieux de la mode ou pas. C’est une attention portée à ce qui est beau, qui a été pensé, créé, confectionné avec soin et sens. J’ai été séduite par la démarche de ce concours, asseoir la littérature et la mode à la même table. Savoir écrire est une forme de créativité engagée, pas seulement pour dénoncer mais également pour rendre compte de ce qui nous transporte, nous inspire. Proêmes de Paris joue avec les mots et défend une forme d’interdisciplinarité qui fait du bien. Leurs vêtements en deviennent presque les pages d’un carnet de note. »
« Très tôt, je voulais devenir styliste, un métier qui n’existait pas vraiment ou sous une forme bien différente de celle incarnée par les couturiers que j’admirais. Très audacieusement, j’ai quitté Sion en Suisse et j’ai franchi le porche d’Esmod, je me sentais déjà dans les ateliers d’une maison de couture. Il y avait à la fois de la rigueur de la tradition mais aussi de l’originalité et beaucoup de nationalités différentes. L’interaction avec le milieu professionnel était très présente, la possibilité de faire des stages à la sortie des cours, un énorme atout. J’ai appris dans cette école que la mode est un terrain de jeu immense mais que l’on n’y fait pas tout ce qu’on veut. Qu’il faut donner un sens à la créativité. Qu’avant de s’affranchir des règles, il faut d’abord bien les connaître et les respecter.
» La recherche est envahissante, c’est un peu comme défaire un livre et le réassembler »
A ma sortie de l’école j’ai eu la chance de commencer à travailler pour Trend Union qui était l’endroit qui correspondait à ce que je cherchais dans ce métier. L’approche de la tendance y était très conceptuelle et surtout très riche, j’avais carte blanche pour alimenter en images les concepts de Li Edelkoort, c’est-à-dire que mes recherches portaient autant sur l’art que sur le design ou encore les matériaux les plus divers. A l’époque, je faisais l’essentiel de mes recherches dans des livres. Aujourd’hui, le changement réside dans le fait qu’internet nous inonde d’informations. La méthode de travail des bureaux de tendance a dû en tenir compte dans la mesure où dans un premier temps il faut en prendre connaissance puis faire un tri et une analyse, une synthèse. Il faut aussi se situer par rapport aux nouveaux influenceurs qui sont très écoutés et suivis. En même temps leur travail n’est pas, à mon sens, assimilable au travail des bureaux de tendance dont les approches aussi différentes soient-elles puisent leurs racines dans l’anthropologie. Le bureau de tendance ancre son propos et y ajoute des suggestions créatives en fonction de mouvements émergents qu’il perçoit dans la société. La pertinence réside dans la faculté de transcender ces mouvements pour voir où ils vont mener la société, le consommateur. Les rythmes se sont aussi considérablement accélérés. Au point de ne plus vraiment savoir si on laisse le temps à la tendance de s’installer. Malgré l’inclination à tout analyser de façon méthodique, suivre son intuition et lui faire une place de choix reste fondamental. C’est en cela que nous préserverons une forme de diversité.
Mon travail de fin d’étude à Esmod était déjà très influencé par la recherche d’images qui exprimait l’histoire de ma collection. J’ai toujours eu un goût prononcé pour choisir et associer des documents. J’y trouve une forme de langage sans limite. J’ai tout appris de l’image chez Trend Union grâce à la richesse de l’échange que j’ai pu avoir avec mes collègues. C’est aussi une histoire d’observation, d’interprétation, ce n’est pas juste un choix, il faut avoir des choses à dire. Aujourd’hui, l’image tient une place fondamentale dans la mode. Elle est un outil de communication puissant. Les supports sur lesquels elle s’affiche sont multiples, internet, presse, vitrine, bus, affichage sauvage… La rue a des allures d’album photo. Je reproche une sorte de formatage de l’image. La mise en avant d’un produit avant tout, rend souvent les images trop codifiées à mon goût. Heureusement, j’ai aussi la chance de travailler avec des photographes qui proposent une approche qui n’est pas consensuelle, en tête de liste Jean-Pacôme Dedieu. Je respecte toutes les formes d’audace et je crois qu’en ce sens, images et vêtements ne devraient pas se priver pas d’en jouer. Il faut nourrir l’oeil du consommateur mais pas seulement, c’est le regard des gens en général qu’il faut stimuler. Je me rejouis de voir l’émergence de nouveaux créateur qui s’inscrivent dans une démarche singulière parce que porter un vêtement, c’est une forme d’expression.
Comment définir mon métier ? Je reprendrai la formule que m’a dit, un jour, un chasseur de tête: » vous êtes une productrice d’idées ». J’interviens en free lance, parfois en contrat d’exclusivité. Je suis tenue à beaucoup de confidentialité lors de mes missions. Mon travail consiste à traduire les intentions premières du directeur artistique, parfois également à donner des directions aux équipes créatives, le tout grâce à des visuels et à tout ce qui peut leur permettre d’alimenter leur réflexion donc leur design. Le travail se fait en plusieurs temps. En premier, en amont, il faut identifier des thèmes en adéquation avec le marché et l’identité de la marque. C’est une période durant laquelle je lis beaucoup et me plonge dans les archives.
« Sonia Rykiel lisant Camus, elle représente la finesse, la culture. J’aime le monde qu’elle a bâti. Regarder cette image me rappelle pourquoi j’ai choisi la mode »
Ensuite, je ressemble beaucoup d’images, lorsqu’il y a suffisamment de matière, commence le classement des documents, des liens évidents apparaissent dans un premier temps. Puis, les idées arrivent comme des collisions d’infos. Enfin, il faut monter des mood boards clairs qui accompagneront les stylistes tout au long de la saison. Rien n’est figé, en cours de route, il m’arrive d’intervenir soit pour alimenter la recherche soit pour réorienter un thème.
Je voyage le plus possible pour rencontrer mes clients mais aussi pour nourrir mes recherches. J’ai aussi besoin de m’isoler complètement parfois pour organiser ma bibliothèque mentale et éviter de me perdre dans les images.
J’ai gardé les affinités qui s’étaient tissées sur les bancs d’école. Avec les années, je recroise le chemin de beaucoup d’anciens élèves. Souvent leur parcours professionnel est intense et j’aime écouter les voyages de chacun dans l’univers de la mode. J’ai aussi la chance d’être en contact avec des étudiants qui font carrière à l’étranger, soit dans leur pays d’origine soit qui se sont expatriés. Je recroise certains de mes professeurs lors des salons ainsi j’ai revu il y a quelques années, ma toute première prof, ça m’a beaucoup impressionnée. http://www.colette.fr/content/wp-content/uploads/2016/10/ProemesDeColette-Des-Amours-1.pdf
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